La mémoire collective des citoyens de Rawdon inclut le drame dévoilé dans ce texte relatant un tragique épisode de notre histoire. Avec les années, les faits sont déformés ou inventés, mais toujours vivants. Voici la vision contemporaine du sombre spectre de la folie.

L’ignorance, la pauvreté matérielle et d’esprit ainsi que l’isolement sont la trame de cette triste histoire.

Ce récit se veut empreint de compassion pour la famille Nulty et se situe dans un contexte historique bien différent du monde actuel.

Affiche photographiée sur les lieux du drame dans la Municipalité de Rawdon, Qc.

L’histoire débute en 1897 et connaît une fin tragique en 1898. Mais en fait, le vrai début de l’histoire se situe avec l’arrivée à Rawdon d’une vague d’immigrants irlandais vers les années 1800. Plusieurs pensaient que l’exil apporterait une amélioration de leurs conditions de vie.

En ces années de grande noirceur, dans un Rawdon rural, la vie des moins nantis était un combat perpétuel pour la survie. Sans mourir de faim, l’espérance d’une prospérité fit naufrage dans un quotidien monotone et pénible.

Les Nulty à Rawdon

Alexander Nulty (1804-1877) et Margaret Daly (1818-1887) font partie de la cohorte d’immigrants irlandais arrivée au Canada au 19e siècle. Déjà mariés, leur fils Michael naîtra à Rawdon le 17 août 1839.

En 1870, ce Rawdonnois d’origine irlandaise épouse une canadienne française du nom de Émilie Ricard née le 16 janvier 1847. De ces épousailles, le berceau se remplira à neuf reprises. La vie est dure pour ces cultivateurs, illettrés, rustres et mal dégrossis. En quasi complète autarcie, avec des méthodes rudimentaires d’exploitation de leur ferme, les Nulty survivent au jour le jour sans espoir d’améliorer leur sort. Cette économie de subsistance permet à la famille de nourrir avec frugalité leurs nombreux enfants.

 

Le contexte du drame

Le fils aîné, Thomas, dit Tom, âgé de 21 ans, consacre son énergie à éviter le labeur inhérent à l’exploitation de la ferme familiale. 

Bon danseur, habile au violon, Tom n’envisage sa vie que comme succession de plaisirs.

Premier à table pour s’empiffrer du travail des autres, il disparaît aussitôt repu.

Dans un rare éclair d’idées nouvelles, Tom fait projet de prendre épouse et de s’installer avec sa dulcinée dans la maison paternelle.

Thomas Nulty
Photo de Tom Nulty parue dans le journal La Presse le 12 novembre 1897

Son esprit limité à ses besoins primaires, il sollicite de ses parents la permission de prendre femme et de s’installer avec la famille.  Michael Nulty refuse la demande en expliquant qu’avec le grand nombre de bouches à nourrir, il ne peut se permettre d’en ajouter un autre.

Frustré, Tom cherche une solution à son problème.  La médiocrité et l’étroitesse de sa faculté de raisonnement le conduisent à envisager le moyen de réduire la taille de la maisonnée en éliminant certains membres de sa famille.

 

L'évènement

Ce 4 novembre 1897, Tom retourne à la maison la rage au cœur. Sa sœur mariée depuis peu refuse aussi de l’héberger avec sa future femme.

À son arrivée, la ferme délabrée embaume une odeur de putréfaction. Ici, humains et bêtes dégagent la même résignation. Rares espérances anesthésiées par une vie de misère.

Déterminé à faire de la place dans la maison, Tom chagriné fixe son objectif rejetant au loin l’affection ressentie pour son frère et ses sœurs.

Pour faciliter sa sombre besogne, Tom choisit de s’attaquer aux plus jeunes et aux plus vulnérables.

Puis, armé d’une hache, extermine trois de ses sœurs et son jeune frère.

Sa fuite est pathétique. Les vêtements tachés du fruit de ses méfaits, il tente de s’inventer des alibis de pacotilles. Vite arrêté et vite jugé, il passe vite aux aveux et tente de justifier ses actes en endossant un déguisement de victime. Il est condamné à mort par pendaison.

Le curé Baillargé.

Fréderic-Alexandre Baillargé (1854-1928) est curé de Rawdon de 1893 à 1899.

Ce détenteur d’un doctorat en philosophie rencontre certains membres de la famille Nulty avant le drame et décrit avec indignation la profondeur de leurs ignorances. Il tente d’inculquer des valeurs chrétiennes à deux des jeunes filles de la famille, mais la profondeur de l’idiotisme qui les afflige éveille en lui une bonté miséricordieuse.

Pourtant, suite au fratricide, il sera le rare défenseur de Tom Nulty. Témoignant de son incapacité mentale, il écrit une lettre au Gouverneur général du Canada, Lord Aberdeen, né en écosse sous le nom de John Campbell Hamilton-Gordon (1847-1934), pour le prier de commuer la peine de mort de l’assassin en peine de prison à perpétuité.

Devant le refus du Gouverneur de changer la nature de la peine de Tom Nulty, celui-ci est pendu à la prison de Joliette le 20 mai 1898.

La peine de mort

Plus de 3000 curieux vont tenter d’assister à cette exécution. Il faut souligner que pour être aux premières loges, il faut recevoir une invitation. Les notables du temps, récipiendaires d’un laissez-passer, assistèrent d’une bonne place à la pendaison.

Carton d'invitation à l'exécution de Thomas Nulty, Société d'histoire de Joliette, envoi de F. Demers

Pour les autres, tous les moyens sont bons pour entrevoir le spectacle; grimper aux arbres, escalader des murs, s’agglutiner aux fenêtres et j’en passe. La curiosité morbide transforme ce malheur en divertissement.

Lorsque sonne le glas, la trappe du gibet s’ouvre, et le malheureux oscille au bout de la corde jusqu’à la mort.

Le corps de Tom fut enterré dans la fosse commune de Rawdon avec son frère et ses sœurs.

Depuis 1859 au Canada, la peine de mort par pendaison est la méthode appliquée pour la mise à mort des criminels. La peine de mort sera abolie au Canada en 1976.

Entretemps de 1959 à 1976, 710 exécutions vont s’opérer un peu partout au Canada.

En 1962. La dernière exécution, envoi au paradis ou en enfer, Ronald Turpin et Arthur Lucas.

Les survivantes

L’incompréhensif destin épargna la vie de quatre des filles Nulty.  Leurs absences à la ferme lors de la furie meurtrière de Tom permis de fonder une descendance Nulty sans le patronyme.

Marguerite, Mary, Judith et Catherine épousèrent des hommes de la région.  Marguerite avec Alexandre Poudrier, Mary avec Francis Vaillancourt, Judith avec Maxime Grenier et Catherine avec Joseph Grenier.

En conséquence, le sang des Nulty continuera de couler dans les veines de plusieurs générations.

Ce texte est un hommage aux 5 victimes de la famille Nulty

Elizabeth Nulty, 17ans

Anna Nulty, 14 ans

Ellen Nulty, 11 ans

Patrick Nulty, 9 ans

Thomas Nulty 21 ans

Illustration des enfants Nulty dans leur lit, BAnQ

SOURCES

nosorigines.qc.ca

La Presse du 8 novembre 1897

La Presse du 12 novembre 1897

La Presse du 13 novembre 1897

La Presse du 20 mai 1898

BAnQ numérique

L’Étoile du nord 2 juin 1898